The vision of France abroad through the baguette



La vision de la France à l’étranger à travers la baguette de pain
Par Magali Marguin*, le 23 novembre 1999
The vision of France abroad through the baguette
By Magali Marguin*, November 23, 1999

« C’est un sujet très... insolite ! » me répond-on, un sourire en coin, à l’énoncé du sujet de mon mémoire de maîtrise. Le sérieux revient rapidement lorsque j’explicite le titre : « Il s’agit de rechercher les origines du cliché du Français, béret sur la tête, baguette sous le bras ».
“It’s a very… unusual subject! I am answered, with a smirk, at the statement of the subject of my master's thesis. The seriousness quickly returns when I explain the title: “It is a question of researching the origins of the cliché of the Frenchman, beret on his head, baguette under his arm”.

Cette image simple prête à rire: de la sorte, on maintient une certaine distance avec elle. Pourtant, le rictus est contrarié car l’image de la baguette est prégnante, elle existe bel et bien à l’étranger, mais aussi en France, « pour les touristes » souligne-t-on.
This simple image is laughable: in this way, we maintain a certain distance with it. However, the rictus is upset because the image of the baguette is pregnant, it does exist abroad, but also in France, “for tourists” we underline.

Tout comme la baguette à une histoire, l’image associée à ce produit atypique en a également une. Sujet certes atypique, la reconstitution de ce cliché n’en fait pas moins appel à l’histoire économique, à la psychologie collective, à l’histoire des relations internationales, bref à un champ d’investigation extrêmement large. Les sources peuvent se trouver partout, quelle que soit la nature du document : ouvrages de boulangerie, reportages télévisuels ou radiophoniques, cartes postales, manuels scolaires, articles de presse, souvenirs individuels...
Just like the baguette has a story, the image associated with this atypical product also has one. Admittedly an atypical subject, the reconstruction of this snapshot nonetheless calls on economic history, collective psychology, the history of international relations, in short, an extremely broad field of investigation. Sources can be found anywhere, whatever the nature of the document: bakery books, television or radio reports, postcards, school books, press articles, individual memories...

Les media, les supports de la communication sont, de manière générale, les véhicules privilégiés des clichés. Ce travail historique s’apparente à celui d’une fourmi: rechercher les moindres indices de l’existence de l’image du Français type, en sachant que l’exhaustivité est impossible, que la reconstitution est marquée de périodes sans information. J’avais en mémoire, pendant ce travail, la démarche d’Alain Corbin qui, dans Le monde retrouvé de Louis-François Pinagot 1798-1876 (Paris, 1998), essaye de reconstituer la vie d’un paysan français à partir des traces écrites laissées par les faits et gestes de cet inconnu (registres paroissiaux, actes notariaux, etc).
The media, communication supports are, in general, the privileged vehicles of clichés. This historical work is similar to that of an ant: looking for the slightest clues of the existence of the image of the typical Frenchman, knowing that completeness is impossible, that reconstruction is marked by periods without information. I had in mind, during this work, the approach of Alain Corbin who, in The found world of Louis-François Pinagot 1798-1876 (Paris, 1998), tries to reconstruct the life of a French peasant from the traces written records left by the acts and gestures of this stranger (parish registers, notarial deeds, etc.).

L’origine de la baguette de pain remonte aux années 1830 lorsque le pain viennois est introduit en France. Ce pain long, à base de levure de bière et non de levain, est cuit dans un four à vapeur ce qui permet l’apparition d’une croûte : c’est un pain aristocratique, ancêtre de la baguette. Parce que ces pains blancs dits de fantaisie sont détaxés et parce que les habitudes alimentaires des citadins changent, le pain long se répand en ville. Sa composition change : le lait est supprimé ce qui abaisse les coûts de production et par conséquent, le prix de vente. Le pain viennois ainsi transformé devient un pain de travailleur, acheté quotidiennement du fait de son faible poids et de sa mauvaise conservation.
The origin of the baguette dates back to the 1830s when Viennese bread was introduced to France. This long bread, made from brewer's yeast and not sourdough, is cooked in a steam oven which allows the appearance of a crust: it is an aristocratic bread, ancestor of the baguette. Because these so-called fancy white breads are zero-rated and because the eating habits of city dwellers are changing, long loaves are spreading in town. Its composition changes: the milk is removed, which lowers production costs and therefore the selling price. The Viennese bread thus transformed becomes a worker's bread, bought daily because of its low weight and poor preservation.

De plus en plus long, ce pain non moulé doit être mis à reposer dans des pannetons, paniers en osiers oblongs destinés à conserver sa forme au pain façonné ; d’où le nom métaphorique de « baguette ». Seul pain au monde ayant cette forme, il attire l’attention des voyageurs en France et celle des locaux entourant les Français expatriés.
Increasingly long, this unmolded bread must be put to rest in bitts, oblong wicker baskets intended to keep its shape for the shaped bread; hence the metaphorical name “wand”. The only bread in the world with this shape, it attracts the attention of travelers to France and that of locals surrounding French expatriates.

Après un retour au pain noir lors de la Première Guerre mondiale, la baguette des années trente atteint l’apogée de sa qualité et de sa consommation. C’est à partir de cette période que naît véritablement une image autour de la baguette. Les caractéristiques de ce pain rappellent celles des Français : simplicité et originalité du genre de vie. La baguette fait alors penser au Français se rendant à la boulangerie, lieu de sociabilité du village, pour acheter son pain quotidien, aliment basique mais goûteux.
After a return to black bread during the First World War, the baguette of the 1930s reached the peak of its quality and consumption. It is from this period that an image around the baguette is truly born. The characteristics of this bread recall those of the French: simplicity and originality of the way of life. The baguette then brings to mind the Frenchman going to the bakery, a place of sociability in the village, to buy his daily bread, a basic but tasty food.

Ce que les Français ne remarquent plus, les étrangers le constatent et le recherchent quand ils viennent dans l’Hexagone: tout le monde va, chaque jour, dans une des multiples boulangeries du quartier pour acheter sa baguette qu’il ramène sous le bras, éventuellement en grignotant le bout.
What the French no longer notice, foreigners notice and look for when they come to France: everyone goes, every day, to one of the many bakeries in the neighborhood to buy their baguette, which they bring back under their arm, possibly by nibbling the tip.

Cette image est véhiculée aux Etats-Unis, en Europe et dans les colonies par les écrivains, les cinéastes, les soldats, les touristes, les administrateurs et autres voyageurs.
Après la Seconde Guerre, la boulangerie française se modernise. La baguette étant un pain facilement mécanisable, les pétrins et les fours se perfectionnent: l’industrialisation de la baguette, la massification de la production corrélative entraînent la création d’un nouveau modèle de panification à la française, à côté du modèle anglo-saxon (pain de mie).
This image is conveyed in the United States, in Europe and in the colonies by writers, filmmakers, soldiers, tourists, administrators and other travellers.
After the Second World War, the French bakery was modernized. The baguette being an easily mechanized bread, the kneaders and the ovens are perfected: the industrialization of the baguette, the massification of the correlative production lead to the creation of a new model of French bread-making, alongside the Anglo-Saxon model (soft bread).

Contrairement aux petits artisans, les industriels de la boulangerie ont les moyens de s’attaquer aux marchés étrangers. Ils utilisent l’image de la baguette comme produit typé à l’origine d’une vie saine et sans complication, pour exporter du pain puis lancer une production hors des frontières hexagonales. Le pays d’accueil doit être intéressé par le produit et doit avoir les moyens de financer les machines, les importations de farine et de levure, l’acquisition du savoir-faire.
Unlike small artisans, bakery manufacturers have the means to tackle foreign markets. They use the image of the baguette as a typical product at the origin of a healthy and uncomplicated life, to export bread and then launch production outside French borders. The host country must be interested in the product and must have the means to finance the machines, the imports of flour and yeast, the acquisition of know-how.

Toute la filière farine française est impliquée dans l’exportation. Une méthode de conquête des pays se met en place: du Japon dans les années cinquante aux pays européens dans leur ensemble, une nouvelle géographie de la baguette voit le jour durant les années 1960. Les courbes d’exportation de pain et de machines de boulangerie attestent de cette augmentation rapide de la demande mondiale en baguette, toute proportion gardée.
The entire French flour industry is involved in export. A method of conquering countries was put in place: from Japan in the 1950s to European countries as a whole, a new geography of the baguette emerged during the 1960s. Bread and bakery machinery export curves attest to this rapid increase in global demand for baguettes, all things considered.

La conséquence de cette politique industrielle est l’utilisation de l’image de la baguette comme argument de marketing: sa véracité n’est pas un souci, tant qu’elle fait vendre. Toutefois, la France a continué à changer: les Français consomment de moins en moins de pain, ils sont en grande majorité des citadins qui ont abandonné la vie traditionnelle du village depuis des décennies. L’image, ainsi coupée de sa base réelle, se mue en stéréotype, ou cliché.
Dans les années quatre-vingt, une petite révolution affecte le monde de la boulangerie françaiseavec la surgélation des pâtes crues et la maîtrise de la fermentation en différé.

The consequence of this industrial policy is the use of the image of the baguette as a marketing argument: its veracity is not a concern, as long as it sells. However, France has continued to change: the French consume less and less bread, they are mostly city dwellers who have abandoned traditional village life for decades. The image, thus cut off from its real base, turns into a stereotype, or cliché.

In the 1980s, a small revolution affected the world of French bakery with the freezing of raw dough and the control of deferred fermentation.


Ces nouvelles techniques permettent d’exporter à moindre coût et en plus grande quantité des pâtons surgelés dans les pays n’ayant pas les moyens de former des boulangers. Les pâtons sont fabriqués en France, avec le savoir-faire et les ingrédients locaux; ils sont cuits dans des fours spécialement conçus pour une main d’œuvre peu qualifiée. Tel est le cas en Chine.
These new techniques make it possible to export frozen dough pieces at a lower cost and in larger quantities to countries that do not have the means to train bakers. The dough pieces are made in France, with local know-how and ingredients; they are baked in ovens specially designed for unskilled labour. Such is the case in China.

Les répercussions de cette technologie sont importantes sur la restauration hors foyer (RHF). La restauration rapide à la française, à base de sandwichs-baguettes, y gagne un second souffle en pouvant s’adapter à la demande, sans avoir un surcoût dû à la gestion de stocks périssables. Ainsi, quelle que soit l’heure de la journée, le pain est toujours chaud et quelle que soit la demande, il y a toujours choix et quantité.
The repercussions of this technology are significant on out-of-home catering (RHF). French-style fast food, based on baguette sandwiches, is gaining a second wind by being able to adapt to demand, without incurring an additional cost due to the management of perishable stocks. Thus, whatever the time of day, the bread is always hot and whatever the demand, there is always choice and quantity.

De grandes sociétés de RHF comme le groupe Le Duff (La Brioche Dorée, Le Fournil de Pierre, etc) s’implantent massivement à l’étranger : Royaume-Uni, Allemagne, Etats-Unis, Canada, Japon, Singapour et bien d’autres pays encore sont les lieux d’une concurrence acharnée entre les marques françaises et étrangères, et même entre Français.
Large RHF companies such as the Le Duff group (La Brioche Dorée, Le Fournil de Pierre, etc.) are establishing themselves massively abroad: United Kingdom, Germany, United States, Canada, Japan, Singapore and many others. Still other countries are places of fierce competition between French and foreign brands, and even between French people.

Aussi y a-t-il peu d’endroits dans le monde où on ne peut trouver de pain français. Tout comme la baguette s’est adaptée au mode de vie français à la fin du XIXe siècle, elle se transforme également au contact des autres cultures: elle raccourcit etépaissit en Extrême-Orient, elle est fourrée en Allemagne et en Angleterre, elle est faite avec de la farine complète aux Etats-Unis. Son nom évolue également: pariguette, miniguette, bioguette... A défaut d’une législation stricte sur la définition et le contenu du produit, la baguette à l’étranger et même en France est mal protégée.
So there are few places in the world where you can't find French bread. Just as the baguette adapted to the French way of life at the end of the 19th century, it also changes when it comes into contact with other cultures: it gets shorter and thicker in the Far East, it is filled in Germany and England, it is made with wholemeal flour in the United States. Its name is also changing: pariguette, miniguette, bioguette... In the absence of strict legislation on the definition and content of the product, the baguette abroad and even in France is poorly protected.

En conséquence, tout le monde n’associe pas le même pain au mot « baguette », ni la même image. Pour une minorité d’Américains, la baguette ne représente plus la France. Pour certains, le stéréotype du Français baguette sous le bras est rétrograde et passéiste. Pour d’autres, c’est le folklore français ; son charme désuet n’a rien de dégradant.
As a result, not everyone associates the same bread with the word "baguette", nor the same image. For a minority of Americans, the baguette no longer represents France. For some, the stereotype of the Frenchman with a baguette under his arm is retrograde and backward-looking. For others, it is French folklore; its old-fashioned charm is in no way degrading.

Cette scission de la perception de la baguette au sein du groupe social engendre une dislocation de la base conative de l’image, déjà dépourvue de son caractère cognitif. Il ne reste donc au stéréotype que l’affectif: parallèlement à la mutation de la baguette sous l’influence industrielle, il y a une mythification de l’image associée.
Or n’est-ce pas de l’affection que les Français ressententpour leur image devenue mythe? N’entretiennent-ils pas eux-mêmes, depuis la France, l’image née autrefois à l’étranger?
This split in the perception of the wand within the social group generates a dislocation of the conative base of the image, already devoid of its cognitive character. All that remains of the stereotype is therefore the affective: parallel to the mutation of the baguette under industrial influence, there is a mythification of the associated image.
But isn't it affection that the French feel for their image that has become a myth? Do they not themselves maintain, from France, the image once born abroad?

La réponse affirmative à ces questions serait vraisemblablement différente pour d’autres produits symboles de la France tels le cognac ou le camembert. Il serait intéressant d’étudier ceux-ci afin de dresser une synthèse plus représentative du rôle des stéréotypes français à l’étranger. Un nouveau champ de recherche pour les relations internationales semble donc s’entrouvrir et je remercie M.Robert FRANK de m’avoir laisser la liberté de m’y frayer un chemin.
The affirmative answer to these questions would probably be different for other symbolic products of France such as cognac or camembert. It would be interesting to study these in order to draw up a more representative synthesis of the role of French stereotypes abroad. A new field of research for international relations therefore seems to be opening up and I thank Mr. Robert FRANK for giving me the freedom to clear my way there.






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